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Wang Yi : l’habile diplomate de Beijing à l’heure de la recomposition mondiale (1/2)

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Le début de la décennie 2020 voit se multiplier les défis géopolitiques mondiaux : la guerre de conquête russe en Ukraine entre dans sa troisième année ; par-delà l’Atlantique, Trump et le mouvement « Make America Great Again » (MAGA) sonnent le glas de l’atlantisme ; quant à l’Union européenne (UE), celle-ci tente une montée en puissance malgré des entraves internes. En ces temps troublés, la diplomatie de Beijing représentée par Wang Yi parvient à tirer son épingle du jeu. 

Wang Yi, à gauche, alors étudiant en 1981.
Wang Yi, à gauche, alors étudiant en 1981.

De la paysannerie au Ministère des Affaires étrangères

Le site du Ministère des Affaires étrangères (MAE) chinois offre une présentation plutôt laconique du ministre. On y apprend qu’il appartient à l’ethnie majoritaire des Han, qu’il a commencé à travailler en 1969 et a rejoint le Parti communiste chinois (PCC) en 1981. Une emphase est de mise sur ses diplômes (sans préciser qu’il parle couramment japonais) et relativement peu sur son expérience de diplomate. 

Pourtant, son parcours est plus intéressant que cette présentation ne le laisse penser. Né en 1953 dans un milieu modeste, Wang Yi a été envoyé travailler dans une ferme du nord-est de la Chine pendant huit ans. Comme beaucoup parmi sa génération, il était alors de bon ton d’envoyer ses enfants dans les “tuanchang”, des fermes frontalières exploitées par le PCC pendant la Révolution culturelle. Il intègre l’université à 24 ans seulement dans un cursus de géopolitique. Il accède ensuite au MAE chinois grâce à son beau-père, Qian Jadong, alors haut-fonctionnaire et diplomate. Un népotisme traditionnel pour ce ministère dont ont bénéficié ses prédécesseurs : Li Zhaoxing et Dai Bingguo. Néanmoins, les similitudes avec eux s’arrêtent ici, et Wang va incarner une franche rupture au sein du MAE.

Présenté par ses pairs comme un véritable homme politique plutôt qu’un simple fonctionnaire, Wang devient le plus jeune vice-président du MAE en 2001. Le média Xinhua précise qu’il détient ensuite le record pour « la plus jeune personne du Ministère des Affaires étrangères à ce poste » pour les emplois successifs qu’il occupe au sein du Ministère. 

Il s’illustre surtout en 2003, où, d’après le journaliste Peter Ford, il aurait créé une rencontre de facto entre des représentants de la Corée du Nord et des États-Unis, lors d’une réunion des « Pourparlers à Six ». Malgré le refus de ces derniers d’être laissés entre eux, il quitte intentionnellement une réunion tripartite avec sa délégation pendant une dizaine de minutes, laissant les diplomates américains et nord-coréens face à face et devant le fait accompli. Un acte sans résultats mais qui révèle le caractère audacieux de Wang.  

Xi Jiping, septième président de la République populaire de Chine et quatorzième secrétaire général du Parti communiste chinois.
Xi Jinping, septième Président de la République populaire de Chine.

La politique étrangère de Beijing sous Xi Jinping :  la “Pensée” de Xi et le « Rêve de l’Asie-Pacifique »

Wang Yi reste néanmoins l’exécutant de la politique étrangère de Beijing, sur laquelle il est nécessaire de revenir brièvement. En mars 2013, Xi Jinping est élu Président lors d’une assemblée du PCC. L’avènement de Xi marque une évolution vers un nationalisme assumé et ambitieux. Sur le plan diplomatique, la devise de Deng Xiaoping, “Dissimuler sa puissance, se montrer patient” n’est désormais plus d’actualité. Au « Rêve chinois » de rajeunissement national s’adosse également le « Rêve de l’Asie-Pacifique ». Dans le cadre de la nouvelle doctrine des partenariats « gagnant-gagnant », garants d’un monde multipolaire juste, aux yeux de Beijing, Xi pousse une coopération plus étroite entre la Chine et ses voisins. Le but recherché ici est de contrecarrer le Trans-Pacific Partnership américain, un vaste accord de libre-échange englobant de nombreux pays de la région et excluant la Chine. Naît ainsi la riposte de Xi, le « Free Trade Area of the Asia-Pacific » qui vise à renforcer la coopération régionale. 

Peu après sa nomination en tant que Ministre des Affaires étrangères, Wang Yi tient sa première conférence de presse en mars 2014. Lors de celle-ci, il présente les quatre axes de la nouvelle théorie diplomatique chinoise issue de la « Pensée de Xi sur la diplomatie » : 1) Bâtir des relations internationales autour de partenariats « gagnant-gagnant » ; 2) Construire un réseau mondial de partenariats ; 3) La poursuite du « Rêve de l’Asie-Pacifique » et 4) Construire une nouvelle architecture de sécurité en Asie. En illustration, il rappelle que, l’année précédente, la Chine a lancé plusieurs programmes de coopération économiques et envoyé, pour la première fois, des troupes dans le cadre de missions de l’Organisation des Nations unies (ONU). 

À la différence de ses deux prédécesseurs, Wang Yi n’est pas un spécialiste des États-Unis. C’est, au contraire, un spécialiste du Japon et parle ainsi couramment japonais. Sa nomination illustre le pivot de la diplomatie de Beijing, désireuse de construire une nouvelle relation avec ses voisins proches. Elle illustre aussi l’avènement d’une nouvelle génération d’hommes politiques chinois nés après la proclamation de la République populaire de Chine, à l’image de Xi Jinping et des deux factions loyalistes qui gravitent autour de lui : la Nouvelle Armée du Zhijiang et la Clique de Fujian. 

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